Les Emblèmes

Les héliotropes dans les livres d’emblèmes

L'héliotrope représente toujours l'homme et, en fonction de la valeur du soleil, change lui-même de valeur. Par exemple, la devise à illustration 13l’héliotrope de Marguerite de Navarre , reproduite par Claude Paradin dans ses Devises heroïques et emblemes, affiche un programme personnel : une vie déterminée par les seules préoccupations spirituelles. Marguerite (autre nom de fleur…) est tournée vers Dieu, son soleil.


Dans le recueil Droits et devoirs de l'évêque de Carlo Labia, au contraire, l’instance supérieure représentée par le soleil est ce personnage d’évêque dont il est question dans le titre. La devise exprime alors le rapport de soumission des fidèles à l'évêque (voir doc. M). Le commentaire souscrit, qui signifie que « L'évêque grâce à la supériorité de son Grade a de tout temps été au plus haut point vénéré par les hommes et principalement par les Princes », vient souligner cette idée. Les héliotropes représentent les fidèles, courbés et tête baissée en signe de soumission, contrastant ainsi avec le soleil qui, lui, rayonne au-dessus d'eux. On remarque autour de cette devise les symboles de la puissance, comme des palmes, des couronnes, des sceptres et des globes crucifères, qui mettent en valeur par leur présence insistante le pouvoir de l'évêque.


 

illustration 14Dans la Délie de Maurice Scève, le poème CXLI est agrémenté d'une devise emblématique. L'héliotrope représente par rapport au soleil un amoureux transi. Ne disait-on pas que Clytie, suspectant Apollon, regardait constamment, par jalousie, le soleil, assimilé à Apollon, à tel point qu'elle s'est enracinée et s'est transformée en souci ? Ici le poète se montre lui aussi un amant obsédé, à tel point que le poème est un discours introspectif où l'obsession est à son comble : on y comprend que le soleil est absent physiquement, mais que la fleur le garde toujours à l'esprit. Ainsi la devise métaphorise-t-elle l’obsession amoureuse qui lie le poète (en héliotrope) et cette femme (le soleil) qu'est Délie, « objet de plus haute vertu » inscrit dans son cœur et toujours disponible pour une contemplation intérieure.


illustration OLes choses se compliquent lorsque le soleil est absent, le motto vague et le dessin minimaliste, comme dans le recueil de de la Feuille. Effectivement, le motto « Usque ad reditum » (« Jusques à son retour ») implique une idée de temps et d'attente supposée du soleil, mais également une idée de délivrance, puisque la fleur semble comme morte : l’idée sous-jacente est celle d'une renaissance avec le retour du soleil. Cependant nous n'en savons pas plus, puisque ni le soleil ni l'héliotrope ne sont définis. Ainsi, en l’absence de référence à un individu, réel ou construit par un texte, la devise permet-elle un foisonnement d'interprétations.

Céline Pizzolato et Mélissa Deshouliere