Depuis l’apparition du Land Art en 1960, le rapport de l’artiste à l’art et à la nature a résolument changé. Il ne s’agit plus de la représenter mais d’agir directement sur elle, d’y imprimer sa marque. Aujourd’hui, d’autres artistes tels que Nils Udo ou Andy Goldsworthy, ne travaillent plus « sur » mais « avec » la nature : ils cherchent à réaliser des œuvres en harmonie avec le monde naturel.
herman de vries1, lui, refuse d’intervenir sur le paysage considérant qu’il n’est pas nécessaire de le transformer ou de lui ajouter un artifice. C’est la raison pour laquelle il « présente » des extraits de la nature, se contente de montrer ce que l’on ne regarde plus, ce qui paraît sans intérêt. Ainsi, ses « tableaux-herbiers » sont toujours encadrés de façon très simple avec du pin clair. Seule la taille du cadre varie en fonction des dimensions du végétal. En effet, il voue une véritable passion aux plantes qui sont pour lui « la base de la vie sur terre » car « elles nous fournissent nourriture, beauté, guérison, expériences spirituelles ». Et s’il s’efforce de « révéler » la beauté de la nature de la façon la plus neutre possible, comment comprendre sa production de livres d’artistes ?
Rosa damascena a la particularité de prendre pour sujet un autre élément soumis à une forte tradition – littéraire, picturale – et par conséquent lourdement connoté : la Rose. herman de vries, conscient de ces « fantômes » utilise la tradition afin d’apporter un regard nouveau sur la rose. Le livre contient, non pas l’idée de la fleur, mais la fleur elle-même, ce qui pourrait être, dans l’optique du Land Art, un poème moderne.
Rosa damascena est composé d’une feuille cartonnée beige de format 21 x 15 centimètres pliée en deux qui forme la couverture du livre et sur laquelle figurent les informations courantes : au recto, le titre de l’ouvrage, le nom de l’auteur, la date de publication (1984), le nom de la maison d’édition (the eschenau summer press and temporary travelling press) ainsi que le numéro du livre au sein de la collection. Le titre est le nom latin d’une espèce de rose, les roses de Damas, récoltées au Maroc. Mis à part une présentation épurée et une certaine économie de moyens, rosa damascena se présente, à première vue, comme un livre illustré, affichant les mêmes caractéristiques, à ceci près que, au toucher, un certain renflement vient bomber l’ouvrage. En l’ouvrant, le lecteur découvre une chemise à rabats en papier blanc : elle contient des dizaines de boutons de rose dont se dégage un parfum puissant, à la fois délicat et suave. Cette œuvre réveille subitement notre odorat généralement peu stimulé dans les bibliothèques et relaie ainsi au second plan notre sens-roi qu’est la vue. Rien à lire, tout à sentir, le lecteur devient ici spectateur et perd ses repères habituels face à l’objet livre. Pourquoi avoir choisi la forme du livre pour une œuvre qui ne contient pas de mots ? La raison en est que pour herman de vries, le langage n’est pas ce qui permet le mieux de décrire la réalité ni de communiquer des émotions.
Aurélie Tiffreau