Le mythe de Hyacinthe, en grec Ὑάκινθος, très proche des autres mythes floraux, illustre bien l'intimité des rapports que mettaient en scène les représentations littéraires et artistiques anciennes, entre nature et société humaine.
Sources : la Bibliothèque, Pseudo Apollodore ; les Métamorphoses, Ovide
Hyacinthe, fils d'Amyclas et de Diomède, est un prince spartiate. Séduit par sa grande beauté Apollon devient son amant et s'attache tant à lui que longtemps il délaisse la cité de Delphes dont il est le protecteur et néglige ses activités divines pour ne se consacrer qu'au jeune homme. Ensemble, ils vont à la chasse, pratiquent la palestre. Un jour qu'ils s'entraînaient au lancer de disque, le dieu le lança si vigoureusement qu'il vint rebondir sur le sol et frapper Hyacinthe en plein visage (une autre version fait du vent de l'Ouest, Zéphyr, le coupable, épris lui aussi du jeune homme et concurrent d'Apollon). Voyant son amant s'effondrer, Apollon se précipite vers lui pour le soutenir ; il se lamente et proteste contre le sort mais ne peut rien pour le sauver. Pourtant de son sang répandu naît une fleur, pourpre ou cramoisie pour d'autres, dont la forme est proche de celle du lis. Dans sa douleur, le dieu grave sur ses pétales les initiales de son bien-aimé (Y) ou, selon une autre version, les lettres AI, idiomatisme grec pour désigner un cri de douleur ( « hélas » ). C'est ainsi que désormais, à chaque printemps, Hyacinthe renaît à travers cette fleur.
Le mythe de Hyacinthe tel que nous le connaissons n'est raconté que chez les auteurs plus tardifs (il apparaît seulement au Ve s. av. J.-C. chez Euripide). Pourtant ce personnage est attesté bien avant cette époque ; Hyacinthe put être d'abord une divinité florale de le Grèce mycénienne (- 1550 environ). Le nom reste présent dans les textes de la littérature archaïque (chez Homère puis chez les lyriques, Sappho et Anacréon) mais désigne non pas un dieu mais une fleur printanière utilisée par le poète pour qualifier et décrire les dieux et les héros (les cheveux d'Athéna « semblables à la fleur de hyacinthe » Homère, l'Odyssée). L'intimité des rapports homme-nature est évidente et d'autant plus remarquable dans notre mythe. Le cycle naturel mort-renouveau est ici illustré par la mort de Hyacinthe et sa renaissance à travers la fleur. C'est aisément que ce dualisme naissance-mort se transforme dans l'imaginaire poétique en un mythe de l'éternel retour, puis de l'éternité ou de l'immortalité ; chez Ovide, au livre X des Métamorphoses, la naissance de la fleur offre à Hyacinthe la vie éternelle.
À une échelle plus réduite, ce mythe nous offre un second niveau de parallèle entre homme – ou plutôt société humaine – et nature. Hyacinthe y est initié par Apollon lui-même. Ce mythe est donc aussi celui du passage de l'adolescence à l'âge adulte, nécessairement précédé d'une initiation (Apollon initie Hyacinthe à la gymnastique) et mis en parallèle avec la succession des saisons. Leur relation homosexuelle rappelle celle qu'entretiennent en Grèce antique l'éraste et l'éromène, c'est-à-dire un homme d'âge mûr et un jeune garçon, au sein d'une institution à visée éducative et morale, la pédérastie.
De nombreux mythes offrent un dénouement violent et sanglant (celui d'Adonis, d'Actéon etc.). Mais ici la mort du jeune homme n'est pas causée par une bête sauvage ni par un dieu revanchard (si l'on délaisse la version qui fait de Zéphyr le coupable) mais par l'amant divin lui-même. On peut voir dans cette mort sanglante la réminiscence de sacrifices primitifs par lesquels on pensait s'assurer la fécondité du sol, souvenir émoussé d'une époque reculée où la proximité avec la nature était telle qu'elle donnait lieu à de cruels sacrifices de jeunes gens dans la fleur de l'âge qu'on voyait naturellement renaître dans ces fleurs qui, au printemps, poussaient à cet endroit.
Alice Suret-Canale