Les problèmes de nomenclature permettent de comprendre l’embarras des botanistes quand ils n’ont pas de noms antiques à mettre en face des plantes qu’ils découvrent : pourquoi ces plantes n’ont-elles pas été répertoriées par les Anciens ? Sont-ce des plantes nouvelles, la description donnée par les Anciens ne correspond-elle pas ou plus à ce que l’on voit, ou reste-t-elle trop ambiguë, voire fausse ? La correspondance parfois incertaine entre texte et image résulte de la difficulté à identifier avec certitude ce que l’on a devant les yeux.
Que dire de la rose, puisque c’est une plante très commune ? « La rose est une plante si vulgaire, que j’estimerais temps perdu, que de m’amuser à la décrire », dit Mattiole (Commentaires sur Dioscoride, Lyon, 1570, p. 86). La rose n’est cependant pas une plante simple. Sa présentation dans les ouvrages botaniques est faite de façon problématique et critique, sur le mode comparatiste.
Elle compte plusieurs espèces dont les formes peuvent être très différentes. On distingue à la Renaissance sous le nom de « rose » la fleur de l’églantier épineux, la rose rouge, blanche, incarnate, jaune, la rose blanche musquée de Damas (appelée musquée en raison de son odeur remarquable), et le rosier sauvage portant pommes (ou cynorrhodon). Les botanistes hiérarchisent ces espèces, en établissant unanimement que la « Rose de Damas » surpasse toutes les autres, en odeur comme en vertu.
Plus tard, d’autres espèces seront mises au jour : M. Bulliard, dans la Flora parisiensis de 1778, distingue trois espèces qu’il nomme « rosier à cent feuilles », « rosier sauvage ou rosier de chien ‘cynnorhodon’ », « rose de Fontainebleau » – le chapitre suivant est consacré au framboisier, suivant la tradition, bien instituée encore deux siècles plus tard, qui classe le rosier parmi les épineux (t. 3, p. 275).
Le rosier reste difficile à classer en raison d’une incertitude sur la nomenclature : si la rose, dont les espèces sont nombreuses, est bien la plante que Pline appelle « Spineola », elle est à classer parmi les épineux, non parmi les fleurs. De fait, elle se retrouve souvent placée parmi les arbustes épineux, entre le groseillier et l’ébène, non loin de l’acacia (Mattiole) ; pour Jacques Daleschamps le chapitre « des roses », dont le pluriel annonce bien une difficulté liée à la multiplicité des éléments qui le composeront, se trouve entre les ronces et le prunier sauvage, second chapitre de la section sur « les arbrisseaux qui croissent de leur bon gré parmy les hayes et buissons » (livre II). Le botaniste commente ainsi ce choix : « Or, pour ce que pour la plupart ils ont été pris dans les bois, et apprivoisés en les cultivant, et qu’aussi ils ont grande affinité avec les sauvages, nous traiterons de tous ensemble : combien qu’il semble qu’il serait plus à propos d’en traiter au livre des fleurs, entre lesquelles les Roses tiennent le premier rang, et s’en sert on communément à faire des bouquets ». Comme pris d’un remords, l’auteur mentionne tout de même la rose au début du livre VII consacré aux fleurs, précisant que si la rose manque à cette section, c’est d’une part pour suivre Pline (« le rosier est du nombre des arbrisseaux et épines : même c’est plutôt une épine qu’un arbrisseau, ainsi que dit Pline »), d’autre part parce que sa fleur, certes remarquable, est de toutes les fleurs celle qui fleurit le plus tard et se flétrit le plus tôt…
La rose, à l’instar d’autres plantes, permet de reconnaître certains traits distinctifs de l’illustration scientifique à la Renaissance. Sa mise en couleur dans une traduction allemande de Mattiole (voir ill. 11) datant de 1590 souligne le désir de rendre compte sur une même planche des trois couleurs possibles de la rose domestique : blanc, rouge, incarnate (illustration de gauche) ; sur un même bois on trouvera le bouton, la fleur, le fruit (illustration de droite).
Les éditeurs d’ouvrages scientifiques n’hésitent pas, par ailleurs, à réutiliser des bois gravés d’un ouvrage à l’autre, parfois d’un auteur à l’autre : on reconnaît les emprunts que fait Jacques Daleschamps (Lyon, 1615, p. 103, voir doc. D) à Mattiole (Lyon, 1572, p. 130 voir doc. E), sous la forme de reprises exactes.
Myriam Marrache-Gouraud