On pouvait s’attendre à trouver chez Pierandrea Matthioli (1501-1577) une série de représentations de grandes dimensions, taillées dans le bois, deux symptômes sans doute les plus emblématiques du domaine au XVIe siècle : le progrès des techniques et l’agrandissement du format du papier. L’ampleur de l’oeuvre n’en reste pas moins surprenante. La taille à l’épargne des bois est quant à elle d’une grande finesse. Les planches sont rapportées à la suite des textes descriptifs.
Dans les 500 planches illustrées qui constituent le Commentarii in sex libros Pedacii Dioscoridis (1565) de Matthioli, force est de constater que la volonté est de donner au livre un caractère descriptif et méthodique, à l’image des connaissances acquises sur la botanique. La qualité stylistique des illustrations contribue à donner une vision complète et détaillée du végétal dans sa maturité. La rose se dote ainsi de ses tiges d’épines, de ses fleurs aux pétales largement déployés et de ses feuilles dentelées riches en aiguillons.
L’absinthe est quant à elle forte de ses racines de propriété inhibitrice et présente au sommet de ses feuilles des capitules en floraison.
On a longtemps considéré l’ouvrage de Matthioli comme largement inspirée de l’œuvre de Dioscoride (médecin grec de la première moitié du 1er siècle après J-C qui a dressé un inventaire des plantes médicinales), dont les travaux sont encore prépondérants au XVIe siècle. Pourtant, bien qu’il reprenne nombre des plantes énumérées par Dioscoride dans ses analyses, Pierandrea Matthioli n’offre pas une simple réédition. Il réalise une œuvre personnelle basée sur des connaissances acquises grâce aux travaux de ses prédécesseurs, agrémentée des conclusions de ses propres recherches.
Les différentes étapes de l’évolution du végétal, traduites d’un seul tenant, proposent une formule simple, servant principalement à identifier les plantes. Ce travail de recherche dans la représentation de l’ordre naturel reflète parallèlement les problématiques contemporaines liées à la notion de discours dans l’œuvre picturale. Les actions qui composent une scène sont condensées sur un seul et même plan, en une représentation unique. C’est ainsi qu’en peinture la narration se déploie sur plusieurs plans successifs qui recomposent visuellement l’histoire. C’est pourquoi racines, bourgeons et fleurs sont représentés ensembles, en un seul moment. Ce qui peut sembler à première vue être une maladresse, traduit en réalité une véritable démarche exploratrice. On estime que l’œuvre de Matthioli a été publiée en 32 000 exemplaires.
A la fin du XVIe siècle, en France, l’œuvre du contemporain Jacques Daléchamps (1513-1588), Historia generalis plantarum (1586), présente dans ses quelques 2700 xylographies des caractères similaires, tant dans la technique que dans la retranscription du savoir accumulé. Les tirages sont issus de plaques de bois, d’une taille à l’épargne ample, laissant de larges espaces blancs rompus par des reliefs noirs. L’aspect rudimentaire de la représentation est relayé de la même façon que chez Matthioli par la démarche attributaire qu’est celle des pionniers de la botanique, qui se sont attachés à définir les composantes des végétaux.
Au cours du XVIIe siècle se développent progressivement les études de physiologie végétale, traduites à la fin du siècle sur planches de cuivre, permettant un travail plus précis sur le détail. La première moitié du siècle voit paraître deux importantes classifications d’espèces végétales, dont la paternité est attribuée au médecin français Charles de l’Écluse (1526-1609) et au botaniste anglais John Parkinson (1567-1650). De l’Écluse et Parkinson avaient respectivement développé dans leurs œuvres, Rariorum plantarum historia : Fungorum in Pannoniis observatorum brevia historia en 1601 et Theatrum botanicum en 1640, la notion de « jardins de culture », dans lesquels ils mettaient en évidence leur capacité à maîtriser la nature. Précurseurs dans le domaine de l’horticulture, les deux hommes ont conjointement, par leurs travaux, favorisé l’émergence d’un regard de plus en plus scientifique, par la collecte de données, sur les substances et les essences de végétaux. Leur curiosité à l’égard des propriétés des plantes et des fleurs témoigne d’une prise de conscience du rapport cosmique entre l’homme et le végétal à cette période. Le corps de l’homme et les attributs de plantes sont mis en parallèle, pour une meilleure compréhension du lien qui les unit. Ces apports sont, par extension, à l’origine des premiers ouvrages sur les « simples », à savoir des remèdes populaires à base de végétaux, différents des solutions médicales aux compositions élaborées (élixir, thériaque…).
L’émulation savante qui anime la première moitié du XVIIe siècle ne semble pourtant pas connaître d’écho manifeste dans l’illustration scientifique contemporaine. Les profonds changements à noter touchent essentiellement la démarche scientifique. La gravure sur bois conserve son hégémonie dans l’illustration scientifique des traités de botanique, tandis que l’utilisation du cuivre est croissante dans le monde des arts. Un exemple tiré de l’ouvrage de Charles de l’Écluse, une représentation de lotus, exprime efficacement l’absence d’une réflexion relative à la représentation graphique proprement dite. Dans la première moitié du XVIIe siècle, les planches des œuvres de botanique sont pour l’essentiel une traduction réaliste de l’observation des formes naturelles, mise à plat par la bichromie prononcée de la taille bois, dont on reconnaît cependant l’efficacité descriptive. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, l’usage des cuivres prend place en premier lieu sur les frontispices des ouvrages avant de gagner les illustrations. Rendant possible la diffusion de masse et réutilisables, les cuivres sont souvent réemployés dans divers domaines tels que les arts, les lettres, la médecine ou encore la botanique. La similitude des éléments composites d’une page de frontispice sur de multiples ouvrages en est le témoin le plus frappant.
Les notions de « genre » et d’ « espèces » se précisent au cours du siècle, notamment dans le traité de l’allemand Joachim Jung (1587-1657) Isagoge phytoscopica paru après sa mort en 1679. Ses idées novatrices sont reprises par l’anglais John Ray (1627-1705) dans l’ouvrage Historia plantarum generalis dont le premier des trois tomes est publié en 1686. Les explorations parallèles menées dans le domaine de l’anatomie encouragent sans doute indirectement les recherches botaniques dans la même direction. Ces deux cas en Europe parmi d’autres sont par ailleurs des indices intéressants sur la circulation du savoir. En France, des voyages à la découverte de la flore sont ordonnés par Louis XIV. On connaît la figure illustre de Michel Bégon (1638-1710), accompagnée de celles de Joseph-Donat de Surian (pharmacien, herboriste, médecin) et de Charles Plumier (mathématicien, botaniste, dessinateur). De l’exploration des Amériques, Charles Plumier (1646-1704) ramène nombre de croquis dont il publiera un ouvrage après un second voyage, Nova plantarum americanerum genesa en 1693 (voir « Michel Bégon (1638-1710), l’explorateur des Amériques »).
L’utilisation croissante du cuivre dans l’illustration s’accompagne d’une recherche orientée vers la physiologie végétale, liée au développement des connaissances sur la fibre. Dès lors les représentations se chargent de l’expression de caractères organiques, mettant en valeur les essences telles que la sève, les bulbes, et nouvellement la graine. L’analyse des plantes est basée sur la compréhension du milieu de culture.
Le voyage est un facteur tout aussi prépondérant dans l’œuvre de Joseph Pitton Tournefort (1656-1708), contemporain et ami de Plumier. Proche de Pontchartrain (secrétaire d’état à la marine de Louis XIV), il obtient du roi le financement d’un voyage vers le Levant pour mener à bien ses recherches. De même que ses contemporains, Tournefort collecte des plantes pour constituer des herbiers et effectue, avec l’aide du dessinateur Claude Aubriet, des croquis de plantes de Lydie, d’Ionie, de Syrie et d’Égypte. Le traité de Tournefort est publié pour la première fois en 1694, en latin, recensant 10 000 espèces dans 3 tomes de petits formats. La maniabilité de ces supports et leur portabilité assurent à l’Institutiones rei herbariae de Tournefort un succès remarquable à l’instar des ouvrages de grandes dimensions de ses congénères Ray ou Plumier, dont les utilisations restent peu commodes sur le terrain. Tournefort apporte une nouvelle classification des espèces basées sur la grandeur et la consistance de la tige, distinguant par là les herbes, des sous-arbrisseaux et des arbres. Cette perception de la flore est illustrée à l’aide d’un scrupuleux rapport d’échelle établi au sein des planches.
Les cuivres rapportent dans des espaces séparés les différentes étapes de mutation d’une plante. La présentation conserve un aspect narratif, les étapes se succèdent de façon linéaire : graine, bourgeon, floraison/maturité, composantes marquées de lettres. La présentation n’est par ailleurs pas sans rappeler les futures mises en page de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1751-1772). Le travail de Tournefort est utilisé par tous les botanistes jusqu’aux recherches de Carl Von Linné (1707-1778).
Étudiées sous divers angles, ces images expriment la synthèse figurée de la somme des connaissances acquises à un moment donné. Énonciation d’un savoir interdisciplinaire, elles expriment les apports conjoints de la médecine, de l’anatomie, de la physiologie et de la botanique.
Mélody Bellier